Lundi de Pentecôte La journée dite de solidarité : Argumentation juridique
La
loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 prévoit que les salariés doivent
travailler une journée sans être rémunérés pour financer la «
solidarité pour l’autonomie des personnes âgées ». Ce texte,
contestable dans son principe, est également contestable dans son
contenu juridique
Ce que dit la loi
Une journée de solidarité est instituée pour le financement des actions de solidarité. Elle prend la forme :
- Pour les employeurs, d’une contribution de 0,3 % sur les
rémunérations versées à compter du 1° juillet 2004 : « la contribution
solidarité autonomie »,
- Pour les salariés, « d’une journée supplémentaire de travail non rémunéré » (art. L. 212-16 al. 1 C. trav.).
Cependant, la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures n’est pas modifiée (art. L. 212-1 al. 1 C. trav.).
La
liste légale des jours fériés n’est pas modifiée (art. L. 222-1 C.
trav., où figure donc toujours le lundi de Pentecôte, férié depuis une
loi du 8 mars 1886). Or, le Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels (ONU, 1966, ratifié par la France),
prévoit « la rémunération des jours fériés » (art. 7, d).
La non rémunération du travail est illicite
Selon l’adage, « tout travail mérite salaire ». Pour la Cgt, « il n’est
pas possible d’accepter que les salariés soient contraints à une
journée de travail gratuit, quelle qu’en soit la date (le lundi de
Pentecôte ou un autre jour), ou la forme (suppression d’un jour férié,
diminution des journées de RTT, augmentation de la durée du travail
hebdomadaire...) » [bureau confédéral, 4 janvier 2005].
Le fait pour l’Etat français de prévoir une journée de travail non
rémunéré est contraire au « droit au salaire », prévu par plusieurs
textes de droit international (ratifiés par la France, s’imposant à
l’ordre juridique interne, au Code du travail et aux statuts des
fonctions publiques) :
- la Convention de l’O.I.T. N° 29 sur le travail forcé (1930),
interdit « tout travail exigé d’un individu sous la menace d’une peine
quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein
gré (art. 2.1),
- la Convention européenne des droits de l’Homme (Rome, 1950,
Protocole n°1 de 1952, art. 1, jurisprudence CEDH), en ce que cette
journée prive le travailleur de son salaire et porte donc atteinte à
son patrimoine,
- le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels (1966), prévoit « un salaire équitable » (art. 7,
a),
- la Charte sociale européenne (Strasbourg, 1996) prévoit le
« droit à une rémunération équitable » (partie I, art. 1.4 et partie
II, art. 4; voir notamment la décision Comité Européen des Droits
Sociaux du 11 déc. 2001).
Ces règles de droit peuvent être mobilisées dans le cadre de la
négociation collective pour demander le paiement de cette journée
(respect du droit international et règle d’ordre public social). A
défaut, ces règles pourront être mobilisées dans le cadre contentieux
devant le conseil des prud’hommes (qui doit trancher le litige au
regard du droit - dont font partie ces instruments internationaux
ratifiés par la France - et pas seulement au regard de la loi; le CPH
devant écarter les règles internes contraires à des règles
supranationales).
Les modalités envisagées par la loi
L’Etat « sous-traite » aux « partenaires sociaux » la mise en oeuvre de cette privation de rémunération :
- le choix de la journée est déterminée par voie d’accord
collectif (il peut s’agir d’un jour férié précédemment chômé, sauf le
1° mai; d’un jour de RTT, d’une autre modalité), [si l’employeur
s’abstient d’une négociation collective, élément substantiel de la mise
en oeuvre, il pourrait être condamné par le T.G.I. à indemniser les
syndicats et par le CPH à payer la journée de travail],
- en cas de résistance des organisations syndicales de
salariés (et dans les entreprises inorganisées), en cas d’absence
d’accord, la journée serait le lundi 16 mai - Pentecôte; si cette
journée était déjà travaillée, l’employeur définit une autre journée,
après consultation du C.E. ou à défaut des D.P.
- les
accords collectifs prévoyant le chômage du lundi de Pentecôte
deviennent inopposables, la loi réduisant directement leur portée,
- les accords collectifs et les contrats de travail fixant des
durées annuelles en heures sont modifiés, directement par la loi, les
durées étant majorées de sept heures par an (1607 heures annuels, cf.
modulation, RTT par jours de repos, temps partiel à l’année; 218 jours
de travail, forfait annuel en jours) ou proportionnellement à la durée
contractuelle (temps partiel modulé).
« En principe », tous les salariés sont concernés. Cependant, les modalités peuvent varier :
- pour les salariés à temps complet, « le travail accompli, dans
la limite de sept heures, durant la journée de solidarité ne donne pas
lieu à rémunération », et en plus ces heures n’ouvrent pas droit - non
plus - au repos compensateur (hebdomadaire, annuel - ces heures étant
exclues du contingent annuel d’heures supplémentaires),
- pour les salariés à temps partiel, la durée de sept heures
est réduite proportionnellement à la durée contractuelle (7 h x temps
partiel/durée contractuelle),
- pour les salariés cadres en forfait annuel en jours, dans la limite d’une journée, le travail ne donne pas lieu à rémunération,
- pour les jeunes de moins de 18 ans (apprentis et jeunes
travailleurs), si la journée est fixée dans l’entreprise le lundi de
Pentecôte ou un autre jour férié, ils ne doivent pas travailler (art.
L. 222-2 et L. 222-4 C. trav., et ne doivent pas subir de baisse de
rémunération); en revanche, si la journée est fixée un autre jour, ils
sont concernés comme les autres salariés,
- pour les salariés qui changent d’employeur et qui ont déjà
effectué gratuitement une journée de travail, soit ils travaillent lors
de la journée fixée dans l’entreprise et sont alors rémunérés (ils
bénéficient de l’ensemble des droits, cf. repos compensateur), soit ils
ne travaillent pas cette journée.
En revanche, les salariés non-mensualisés ne subissent pas la loi
(cf. aides à domicile, intermittents, intérimaires, saisonniers, etc.),
en cas de travail, ils devront être intégralement rémunérés.
Cette loi [qui n’a pas été contestée par les parlementaires de
l’opposition devant le Conseil constitutionnel] vise à augmenter la
durée réelle du travail, sans rémunération; elle apparaît comme une
incitation pour les entreprises à augmenter la durée du travail,
au-delà de la durée légale, sans rémunération supplémentaire. Cette loi
apparaît contraire à la sécurité juridique des accords et à la liberté
contractuelle et contradictoire avec la volonté affichée de développer
le « dialogue social » (cf. loi Fillon IV du 4 mai 2004). Elle
méconnaît le principe d’égalité des citoyens devant la loi, les
salariés étant les seuls à devoir travailler sans être rémunérés.
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